Le transport des blocs en Égypte : les expériences sont elles crédibles ?

Analyse de l’expérience de Franck Burgos sur le transport de blocs avec dénivelé.

Auteur : Quentin Leplat – Association ARTEFACT – Le 18 septembre 2024

Nous commentons cette vidéos dans l’article ci dessous.

Contexte

Dans l’expérience présentée en vidéo, on observe une trentaine de personnes tractant un bloc sur une pente avec une inclinaison moyenne de 8,5 % (d’après les auteurs) à une vitesse comprise entre 3 et 4 km/h pendant 30 secondes. La distance parcourue est estimée entre 25 et 35 mètres, pour un dénivelé d’environ 2,5 mètres. Le bloc, d’un poids d’environ 2 tonnes, repose sur un traîneau glissant sur des traverses en bois humidifié. Il est possible d’estimer la puissance et l’énergie nécessaires pour déplacer ce bloc dans ces conditions. Nous avions déjà commenté ce genre d’expérience sur terrain plat avec un peu moins de personnes.

Puissance nécessaire

La résistance au frottement du bois en statique et en cinétique est estimée dans la littérature scientifique à 0,3 en cinétique, ne descendant pas en dessous de 0,25 dans les meilleures conditions, même avec du bois humide. Ainsi, pour déplacer le bloc à 3 ou 4 km/h sur une pente moyenne de 8,5 %, la puissance requise est d’environ 6200 à 8300 watts, soit une moyenne de 200 à 276 watts par personne, pour un groupe de 30 personnes. À cela, il faut ajouter l’effort supplémentaire lié au déplacement des ouvriers eux-mêmes sur la pente, estimé à environ 95 a 110  watts par individu. Ainsi, chaque personne doit produire entre 300 et 380 watts pendant les 30 secondes de l’expérience.

Capacité de maintien de cet effort

La question qui se pose est : combien de temps ces ouvriers peuvent-ils maintenir un tel niveau d’effort ?

La réponse est relativement simple : ils pourraient tenir environ 2 à 3 minutes maximum avant d’atteindre leurs limites physiologiques, soit une distance parcourue d’environ 200 mètres. En effet, durant cette période de 30 secondes, les ouvriers mobilisent principalement leurs capacités anaérobies. Prolonger cet effort à cette intensité les amènerait à dépasser leur puissance maximale aérobie moyenne, qui pour un adulte est d’environ 250 watts.

Comparaison avec la réalité historique

En prenant en compte la distance moyenne entre les points d’extraction des blocs et leur emplacement sur la pyramide, qui est d’environ 1500 mètres avec une pente similaire, il apparaît évident qu’une réduction de la vitesse est nécessaire. En effet, une allure plus modeste de 1,5 a 2  km/h permettrait de limiter l’effort. De plus, il serait crucial d’éviter les arrêts, car les phases de redémarrage exigent des niveaux de puissance nettement plus élevés. À ce rythme, il faudrait environ une heure de travail, avec une puissance de 200 watts par personne, pour transporter un seul bloc avec 30 personnes, ce qui équivaut à l’effort requis pour courir une heure à 10 km/h.

Répétition de l’effort

La question suivante est : combien de fois les ouvriers peuvent-ils répéter cet effort dans une journée ?

La réponse est également simple : dans ces conditions non ergonomiques, ils ne pourraient probablement pas répéter l’opération plus de deux fois par jour, ce qui reviendrait à courir 20 km ou à pédaler 75 km quotidiennement. Cet effort représenterait une dépense énergétique supplémentaire d’environ 1500 kcal par jour, en plus des 2500 kcal nécessaires pour leurs besoins vitaux et activités quotidiennes.

Si l’on considère les conditions climatiques de l’été, avec des températures pouvant atteindre 30°C et un taux d’humidité élevé, il devient très difficile de maintenir un tel rythme de travail sans risque sérieux pour la santé. Les ouvriers seraient exposés à des risques d’hyperthermie et de troubles cardiovasculaires, en l’absence de moyens de refroidissement adéquat, ce qui est le cas en marche sous la chaleur.

Conclusion

L’expérience de Burgos ne permet pas d’affirmer que cette méthode est viable pour déplacer 6 500 000 tonnes de matériaux en 20 à 30 ans, avec seulement 2000 ouvriers assignés à cette tâche. En négligeant les effets de l’accumulation de la fatigue et en supposant un travail pendant 120 jours par an sur 30 ans, il faudrait en réalité environ 4200 ouvriers pour accomplir cette seule mission. Aucune preuve archéologique ou écrite ne vient corroborer l’existence d’une telle organisation logistique. En effet, s’il faut 4200 personnes assignées au transport il faut autant dans les carrières, et encore autant sur le terrassement des chaussées, et encore autant pour la logistique alimentaire, les menuisiers, les forgerons…

Croire qu’en déplaçant un bloc pendant 30 secondes nous permettra de la faire pour ceux de la grande pyramide, c’est comme croire que parce que nous avons couru 100 mètres à 15 km/h nous allons pouvoir le faire sur un marathon. La physiologie de l’effort nous enseigne qu’il n’est pas possible de transposer cette expérience a la réalité d’un effort quotidien aérobie pendant plusieurs mois.

Recommandations :

  • Évaluer la capacité de travail des ouvriers au quotidien.
  • Envisager l’utilisation d’autres méthodes de transport pour réduire la fatigue des ouvriers. En effet, la traction d’une corde par-dessus l’épaule à mains nues ne sera pas possible longtemps d’un simple point de vue biomécanique.
  • Étudier davantage l’impact des conditions climatiques.
  • Effectuer des expériences sur des distances longues plusieurs fois par jours.

Références et bibliographie :

La vidéo de l’expérience de Franck Burgos : https://youtu.be/1AkPxfeLrfE

Voir la conférence de 2023 à propos de l’énergie nécessaire au déplacement de la masse de la grande pyramide : https://www.messagedelanuitdestemps.org/la-grande-pyramide-en-20-ans-est-ce-serieux/

Calcul de la dépense énergétique et la puissance pour tracter des blocs sur un traineaux

  • Nous avons publié un article et une conférence ou nous détaillons les méthodes de calcul permettant de connaître la puissance et la quantité d’énergie nécessaire au déplacement des blocs posés sur des traineaux en bois et glissant sur le sol ou du bois.
  • Source :

Coefficient de frottement du bois sur bois

  • Le coefficient de frottement entre deux surfaces de bois peut varier selon les conditions (sec, humide, traité, etc.). Typiquement, le coefficient de frottement statique entre bois sur bois est compris entre 0,25 et 0,5, mais en présence d’humidité, il tend à diminuer, se rapprochant de 0,3.
  • Source :
    • Bowden, F.P., & Tabor, D. (1950). The Friction and Lubrication of Solids. Clarendon Press, Oxford.
    • Rabinowicz, E. (1995). Friction and Wear of Materials. John Wiley & Sons.

Puissance mécanique d’un marcheur en montée

  • La puissance mécanique générée par une personne marchant en montée dépend de la pente et de la vitesse. Les études montrent qu’une personne de poids moyen marchant à une vitesse modérée (4 à 6 km/h) sur une pente de 8-10 % produit une puissance comprise entre 200 et 400 watts, selon le poids corporel et les conditions du terrain.
  • Source :
    • Margaria, R. (1968). Positive and Negative Work Performances and Their Efficiencies in Human Locomotion. European Journal of Applied Physiology and Occupational Physiology, 25(4), 339-354.
    • Minetti, A. E., et al. (2002). Energy Cost of Walking and Running at Extreme Uphill and Downhill Slopes. Journal of Applied Physiology, 93(3), 1039-1046.

Preuves archéologiques concernant le nombre d’ouvriers

  • Les estimations du nombre d’ouvriers impliqués dans la construction de la Grande Pyramide de Gizeh varient. Les fouilles archéologiques à proximité du site ont révélé des infrastructures (logements, boulangeries, hôpitaux) qui suggèrent que 20 000 à 30 000 personnes pourraient avoir vécues dans les alentours du chantier, y compris les ouvriers et le personnel de soutien que les estimations modernes donnent entre 2000 et 4000 ouvriers. Les estimations des anciens historiens, comme Hérodote, sont beaucoup plus élevées (jusqu’à 100 000 ouvriers), mais les preuves modernes semblent indiquer des effectifs plus modestes.
  • Source :
    • Lehner, M. (1997). The Complete Pyramids. Thames & Hudson.
    • Verner, M. (2002). The Pyramids: The Mystery, Culture, and Science of Egypt’s Great Monuments. Grove Press.
    • Archaeological reports from the Giza Plateau Mapping Project (Lehner et al.).

Nombre de jours de travail des ouvriers sur les pyramides

  • Selon des analyses récentes, les ouvriers de la Grande Pyramide ne travaillaient probablement pas tout au long de l’année. Ils travaillaient pendant la saison de l’inondation du Nil, lorsque les terres agricoles étaient inutilisables, et pendant certaines périodes de l’année pour éviter les températures extrêmes. Certains chercheurs estiment que cela représente environ 120 à 180 jours de travail par an.
  • Source :
    • Shaw, I. (Ed.) (2003). The Oxford History of Ancient Egypt. Oxford University Press.
    • Malek, J. (2000). The Oxford Essential Guide to Egyptian Mythology. Oxford University Press.

Effort physique en climat chaud et humide

  • L’effort physique prolongé dans des conditions de chaleur élevée (30°C et plus) et une humidité élevée peut rapidement entraîner des problèmes thermorégulateurs comme l’hyperthermie, particulièrement en l’absence de systèmes de refroidissement. Les performances diminuent, et les risques pour la santé (stress thermique, déshydratation, coup de chaleur) augmentent.
  • Source :
    • Gonzalez-Alonso, J., & Calbet, J. A. (2003). Reductions in Systemic and Skeletal Muscle Blood Flow and Oxygen Delivery Limit Maximal Aerobic Capacity in Humans. Circulation, 107(6), 824-830.
    • American College of Sports Medicine (ACSM). (2007). ACSM Position Stand: Exercise and Fluid Replacement. Medicine & Science in Sports & Exe

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1 Commentaire

  1. Non. Non. et non. Les expériences menées ne sont pas crédibles, je travaille sur le sujet depuis 3 ans. Les archéologues et les égyptologues n’ont pas les compétences pour comprendre les manoeuvres de déploiement et les triangulations produites dans les polygones de forces. Malheureusement ils snobent les gens qui les contactent si ce ne sont pas des fans de leurs interprétations incohérentes.
    Ceci dit je ne crois ni aux extraterrestres, ni à une civilisation disparue ayant une technologie avancée, ni aux sources énergétiques ou lévitation.
    Les étoiles, la cosmologie, la géométrie, sont des aspects à part mais qui n’expliquent rien aux méthodes de construction. De ce fait, je continue dans mon coin à tester, calculer, améliorer, recommencer, en me disant que mes solutions finiront par me donner satisfaction à force de trouver des astuces intéressants, j’arriverai à comprendre tôt ou tard et mon objectif sera atteint.

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