Préambule
Les dolmens constituent-ils des sépultures ? Cette interrogation peut sembler étonnante, tant le consensus semble établi. Mais est il établi sur de bonnes bases ? Pour y répondre, il convient d’examiner les premiers rapports de fouilles concernant ces monuments les plus anciens. En effet, parmi les milliers de dolmens présents en France, peu sont restés intacts depuis leur création. Au contraire, de nombreux dolmens ont été réutilisés, et l’on a parfois découvert les restes de plusieurs dizaines d’individus. Cependant, l’usage des dolmens de réemploi à des fins funéraires ne permet pas de déterminer leur fonction originelle. Alors sur quoi se base t-on pour déterminer la fonction originelle des dolmens ? Tout comme on trouve des tombes au sein des églises, ces dernières ne sont pas des sépultures, mais plutôt des espaces sacrés dédiés à des activités religieuses. Ainsi, une analyse des premiers rapports de fouilles des monuments inviolés dans la région de Carnac ne permet pas d’affirmer que les dolmens sous cairn, tels que le tumulus Saint Michel, celui de Tumiac, ou encore de Gavrinis sont véritablement les sépultures d’anciens chefs pour lesquels on aurait érigé des sépultures majestueuses.
Devant l’absence quasi systématique de sépultures dans les dolmens, la majorité des archéologues avancent que les squelettes furent dissous par la terre acide, car granitique, de la Bretagne. Un tel argument ne résiste pas à l’analyse, car d’une part on trouve bien des résidus osseux d’animaux et parfois humains dans les terres acides de ces monuments de granit. De plus, des milliers de dolmens dans le massif central se trouvent sur des terres calcaires, non acide, permettant la conservation des ossements. Pourtant, les preuves de sépultures originelles ne sont pas plus nombreuses. Il est également attesté que beaucoup de dolmens furent l’objet de réemploi à des fins de sépultures. Mais cela ne dit rien sur la fonction de ces monuments au moment de leur conception.
Analysons les faits
Voici en synthèse ce que l’on peut dire des premiers rapports de fouilles scientifiques de ces grands tumulus dolmens. Nous avons analysés plusieurs de ces rapports de la société Polymathique du Morbihan et de divers archéologues du 19ème siècles.
Le tumulus Saint Michel et le tumulus de Tumiac
Dans un rapport de 1862 traitant des découvertes faites dans le tumulus de Tumiac et le tumulus Saint-Michel, voici ce qu’il en ressort : dans les caveaux furent entreposés un mélange de terre, de cendres, de débris de charbon, de débris osseux humains et animaux ; puis l’on y a entreposé de manière symétrique des haches en pierre polie, la plupart du temps plantées à la verticale, tranchant vers le haut, ainsi que des pendeloques diverses et variées.
En l’état actuel des connaissances et en fonction des découvertes décrites dans ce document, il est improbable qu’un corps entier ait été déposé dans ces tumulus dans une configuration intacte et immuable. Les preuves pointent davantage vers des pratiques funéraires complexes, incluant le dépôt partiel, la manipulation ou le rassemblement de restes humains, souvent associés à des objets rituels. (telle est la conclusion d’une analyse réalisée avec un outil d’assistance informatique).
Le tumulus du Moustoir
La lecture d’autres rapports sur le tumulus du Moustoir par René Galles et le Dr Alphonse Mauricet ne donna pas de meilleures conclusions. Parmi les restes de terreaux, de cendres, de poteries et de pierres polies, on trouve quelques débris osseux animaux et peut-être humains. Le Dr Mauricet n’est pas parvenu à identifier avec certitude la provenance humaine de ces os. Il termine en confirmant que des ossements d’animaux calcinés sont bien présents.
Le cairn du Mané Er Hoeck
Si l’on lit le rapport de fouille du Mané Er Hoeck, le constat est similaire. On ne retrouva pas la preuve de sépultures humaines.
Le dolmen du Mané Lud
Le monument le plus énigmatique est sans aucun doute le tumulus dolmen du Mané Lud. Dans ce dernier, on trouva des restes humains de deux squelettes. Mais l’un avait été brûlé et pas l’autre. De plus, on ne trouvait que des ossements des parties droites du corps pour les deux squelettes. Enfin, de nombreux ossements de cheval furent trouvés tout autour de la chambre. Nous sommes ici face à un rituel bien plus qu’à une sépulture d’un chef glorieux. Le fait de passer par le feu un des deux corps et de ne conserver que les parties droites est particulièrement mystérieux.
Le dolmen sous cairn de Gavrinis
Dans le dolmen sous cairn de Gavrinis, là encore les fouilles entreprises ne livrèrent pas de restes de sépultures. On y trouva quelques taisons de poteries, des débris de charbon de bois et des coquillages.
Dolmen sous cairn de Kercado
Là encore, lorsque les premiers archéologues pénètrent dans ce tumulus, il découvre la même chose, un mélange de terreau, de poteries, d’objets en pierres polies, de charbon de bois, d’ossements (humain, animal et oiseaux). Les ossements sont de nouveaux calcinés. Tout plaide en faveur d’un dépôt rituel complexe mettant en œuvre le feu, la terre, une caverne et des restes d’êtres vivants, et non une sépulture d’un ancien chef local.
D’autres dolmens inviolés furent découvert et donnèrent les mêmes résultats. On identifia des pièces de poteries, des objets en pierre polie, des restes d’animaux, et rarement humain.
Absence de base de donnée
A ce jour, personne n’a produit une base de données qui fait l’inventaire de tout ce que l’on a trouvé dans les dolmens inviolés depuis les années 1800, qui marquent le début de l’archéologie scientifique. De fait, il est impossible d’affirmer, sans un inventaire statistique des preuves matérielles, que les dolmens sont uniquement les tombeaux des élites d’un clan local. Certains archéologues clament dans des commentaires ici ou là que ces bases de données existent, mais lorsqu’on leur demande de les produire, ils s’y refusent, prétextant qu’ils savent qu’elles existent. Nous attendons donc toujours que cela soit fait pour en juger.
Discussion
La lecture des premiers rapports sur les fouilles de ces monuments montre clairement que les chercheurs croyaient dès le début qu’il s’agissait de sépultures. Cette idée repose sur les croyances et les connaissances anthropologiques de l’époque. L’idée que les peuples anciens érigent de grands tombeaux pour leurs rois remonte à Hérodote, qui a soutenu que les pyramides étaient les tombes des pharaons. L’anthropologie a également proposé que les grands cairns et tumulus étaient des tombes de rois. Aujourd’hui encore, dans un reportage sur France 2 intitulé « Carnac, sur les traces du royaume disparu », Cyrille Chaigneau explique que René Galles a découvert la sépulture d’un ancien chef avec un viatique remarquable. Cependant, les rapports et discussions au sein de la société polymathique du Morbihan ne confirment pas ses propos et laissent entendre une pratique funéraire plus complexe, semant le doute et ne permettant aucunement de conclure qu’il s’agit du tombeau d’un ancien roi.
Les dolmens n’ont laissé aucun texte et ne semblent pas avoir laissé de tradition orale. Les archéologues ont donc vite fait de les considérer comme des tombes, car l’histoire enseigne que de nombreuses civilisations anciennes concevaient des tombes majestueuses et visibles. Mais il y a autant de contre-exemples dans l’histoire de l’humanité. Par exemple, les ziggourats ne sont pas des tombeaux, mais des lieux de culte dédiés à des divinités (lunaires pour la ziggourat d’Ur1). Parmi les pyramides maya, toutes ne sont pas des tombeaux, de nombreuses sont des temples (la pyramide de Kukulcán2) ou des lieux de cérémonies ou des observatoires astronomiques. Les stûpas bouddhistes3 peuvent contenir des reliques osseuses, mais ne sont pas des tombeaux dédiés à des rois, mais des lieux sacrés de dévotion et non pour glorifier un ancien chef. Nous pouvons aussi citer Göbekli Tepe qui n’est pas un tombeau et qui représente pourtant une architecture mégalithique hors norme pour l’époque, ou encore les pyramides du Soleil et de la Lune à Teotihuacán4 qui étaient des lieux de culte et de cérémonies religieuses, non des tombes.
Bref, il n’est pas possible de s’appuyer sur une constante anthropologique pour affirmer que les dolmens sont des tombeaux. Il y a autant d’exemples que de contres-exemples que les peuples anciens construisaient des tombeaux ou des lieux de cultes tout aussi impressionnant. De plus nous n’avons aucune preuve de la structure sociale des peuples qui érigèrent les milliers de mégalithes dans le Morbihan, il y a 7000 ans. Nous ne pouvons leur prêter certaines pratiques, comme le culte des rois, sans risquer une surinterprétation.
Pour tenter de comprendre les dolmens, il ne serait pas inutile de se pencher sur le symbolisme et les mythes qui concernent les « cavernes » ou les « grottes ». En effet, la présence évidente de restes animaux, ainsi que des dessins d’animaux sur les pierres de ces dolmens, nous renvoie directement aux grottes ornées de Chauvet ou de Lascaux, qui abritent essentiellement des peintures d’animaux. Une autre similitude mérite d’être portée à l’attention de tous : la connexion astronomique entre les grottes ornées et les dolmens. En effet, l’un et l’autre semblent majoritairement prévus pour que les premiers rayons du soleil lors des solstices pénètrent dans ces cavernes naturelles et artificielles que sont les dolmens. Les travaux de Chantal Jègues-Wolkiewiez ont montré que la plupart des grottes ornées étaient choisies parce qu’elles permettaient de recevoir la lumière solsticiale. Or, plusieurs grands dolmens majeurs, comme celui de Newgrange, de Maeshowe, de Gavrinis, et de la table des marchands, présentent ces caractéristiques.
De nombreux auteurs ont montré l’évidence de l’orientation des dolmens en direction des levés solsticiaux ; cela n’est plus à démontrer. Se peut-il que les dolmens en tant que grottes artificielles soient le prolongement de mythes anciens comme celui de la création originale des humains et des animaux ? Ce mythe a été reconstruit par l’anthropologue et ethnologue Jean-Loïc Le Quellec. Voici la vidéo qui résume cela en deux minutes.
En outre, dans les grottes ornées de peintures rupestres, on a retrouvé parfois des restes humains, mais aussi des ossements d’animaux entreposés de manière rituelle. Et pourtant, personne ne dit que ces grottes sont des sépultures ? Les preuves matérielles de squelettes dans les grottes ornées ne sont pas plus nombreuses que dans les dolmens, et pourtant, la quasi-totalité des historiens et archéologues affirment que les dolmens sont des tombeaux et que les grottes ornées sont des lieux sacrés. N’y aurait-il pas un juste milieu plus cohérent ? D’autant plus que les Egyptiens du nouvel empire creusaient des tombeaux qui étaient ornées de décorations pour leur pharaons !
Nous voyons bien qu’en l’absence de textes et de preuves matérielles originelles solides, il est difficile d’affirmer que les dolmens sont des tombeaux et rien d’autre. D’autant plus que les dolmens présentent des orientations avec des ouvertures marquant les points d’arrêt et cross quarter de la course du soleil entre les solstices et les équinoxes. Sans compter que divers chercheurs5,dont je fais partie, ont démontré que les dolmens sont disposés dans le paysage en respectant des dispositions géométriques et mathématiques d’une extrême précision qui ne serviraient à rien dans le cadre d’un tombeau.
Repenser les dolmens comme des espaces sacrés, sièges de rituels divers et variés, ne peut pas être écarté. Les cavernes ornées sont les ancêtres de nos cathédrales, et les dolmens semblent en être l’étape intermédiaire, et leur fonction de sépulture semble bien plus rituelle que fondamentale.
Conclusion
Si l’on écarte le réemploi fréquent des dolmens, il est difficile d’affirmer que les fonctions originelles des premiers tumulus dolmens étaient exclusivement celles de sépultures d’anciens chefs locaux cherchant à marquer l’histoire de leur prestige. Au mieux, ils pouvaient servir de lieux pour des pratiques rituelles funéraires complexes. Toutefois, cette interprétation semble insuffisante à la lumière des enseignements de l’anthropologie des mythes depuis des temps immémoriaux. Considérer les dolmens comme des espaces de reconstitutions rituelles des mythes de la caverne originelle, d’où auraient émergé les premiers humains et animaux, se révèle être une approche beaucoup plus pertinente que de les percevoir comme de simples sépultures mégalomanes d’un ancien roi local. La fonction de sépulture, si elle parfois possible semble très réductrice et nous enferme dans un cadre de pensée limité.
D’autres fonctions sont envisageables, mais nous ne les développerons pas dans le cadre de cet article. Nous pouvons cependant renvoyer nos lecteurs aux reportages « Arpenteurs du Néolithique » qui démontrent que les dolmens étaient disposés en suivant une logique mathématique et géométrique parfaite que l’on n’attend pas pour des sépultures.
- Woolley, Leonard. Ur of the Chaldees (1929) ↩︎
- Schele, Linda, et David Freidel. A Forest of Kings: The Untold Story of the Ancient Maya (1990) ↩︎
- Trainor, Kevin. Relics, Ritual, and Representation in Buddhism: Rematerializing the Sri Lankan Theravada Tradition (1997) ↩︎
- Sugiyama, Saburo. Human Sacrifice, Militarism, and Rulership: Materialization of State Ideology at the Feathered Serpent Pyramid, Teotihuacan (2005) ↩︎
- Howard Crowhurst, Robin Heath, John Michell, Alexander Thom, Eric Charpentier ↩︎
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